mardi 10 janvier 2012

Comment la Chine et l'Inde développent leurs marchés financiers


Dans une note publiée en mars, Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis, rappelait que la croissance économique précédait toujours celle du secteur financier. Il citait à l'appui des chiffres édifiants : les marchés obligataires sont dix fois plus importants dans les pays de l'OCDE que dans les pays émergents, les marchés d'action trois fois plus grands.

Deuxième économie mondiale, la Chine est effectivement encore très loin des pays occidentaux en matière de système financier. De même pour l'Inde, qui cherche à faire grossir ses flux d'argent frais en ouvrant la porte de ses Bourses aux investisseurs étrangers.

Ce "retard" s'explique par un choix relativement similaire pour les deux géants asiatiques : celui d'avoir refusé de se plier aux injonctions du FMI dans les années 90, qui plaidait pour une libéralisation totale des marchés. Un choix judicieux, quand on sait les ravages que la crise financière de 1997-1998 a fait en Amérique latine.

Des marchés fermés dans une économie planifiée

Les marchés financiers chinois restent à l'heure actuelle très peu ouverts aux investisseurs, qu'ils soient nationaux ou étrangers, et pour cause : "Jusque dans les années 80, le gouvernement distribuait directement aux ménages la somme d'argent exacte qu'il souhaitait que les Chinois dépensent", explique Anne-Laure Delatte, professeur d'économie à la Rouen Business School et spécialiste des marchés émergents. Lorsque ce carcan s'est brisé et que les Chinois ont pu disposer de plus d'argent que ce qu'ils pouvaient dépenser, ils se sont mis à investir.

"Mais à cette époque, l'économie est encore extrêmement planifiée, le gouvernement dit aux banques combien prêter et à qui prêter", précise-t-elle. Inefficient, ce système ne permet pas une affectation optimale des ressources, "c'est à ce moment qu'on voit apparaître les 'bad loans' en Chine, des prêts non performants (prêts qui n'ont pas été remboursés trois mois ou plus après la dernière échéance)".

Une libéralisation plus profonde serait nécessaire pour renforcer l'efficience des marchés, mais les gouvernements indien et chinois, malgré des initiatives, restent timides : la crise de 1997-1998, et plus récemment celle des subprimes, ne plaide pas en faveur d'une plus grande ouverture.

De fait, la taille réduite des secteurs financiers chinois et indien, ainsi que leur sévère réglementation, font que les indices boursiers sont de pâles reflets de la situation économique dans ces pays.

Le financement du développement économique en question

Faute de secteur financier performant, l'investissement en Chine se fait principalement à travers du cash prélevé sur les profits des entreprises, et non par le recours au crédit et à la dette. "Les taux d'intérêt, imposés par le gouvernement, sont très bas, explique Anne-Laure Delatte. Si vous défalquez l'inflation, ils sont négatifs, les Chinois n'ont donc aucun intérêt à placer leur argent sur les marchés."

Mieux vaut investir directement dans l'économie chinoise qui, avec un taux de croissance qui a frôlé les 10 % pendant plusieurs années, reste très rentable. Tout le contraire des pays occidentaux, où les rendements sur les produits financiers peuvent très largement surpasser les taux de croissance.

Cela dit, le financement de l'économie par le biais des marchés financiers présente l'avantage d'optimiser l'affectation des ressources entre acheteurs et vendeurs, afin que les investissements soient satisfaisants pour tout le monde. "Cela favoriserait un développement économique plus équilibré et les rendements seraient plus intéressants", estime Anne-Laure Delatte.

Une gouvernance encore très insuffisante

Les marchés financiers chinois et indien cumulent deux défauts : d'une part ils sont très fermés et sous-dimensionnés par rapport à l'économie de ces pays, d'autre part leur gouvernance reste très insuffisante. Les scandales financiers et délits d'initiés ne sont pas rares, ce qui explique pourquoi le gouvernement chinois a choisi de libéraliser les capitaux petit à petit, et d'éviter ainsi un afflux d'argent propice aux détournements.

De fait, les acteurs financiers sont encore mal armés pour jouer sur les marchés internationaux. A l'inverse, les investissements étrangers comptent pour à peine 1 % des flux financiers en Chine. "Comme les émergents restent attractifs, les gouvernements mettent des barrières à l'entrée de capitaux étrangers pour éviter la spéculation et l'inflation", décrit Anne-Laure Delatte.

Face à ces écueils, il est plus facile pour les autorités de faire marche arrière et de ralentir le mouvement de libéralisation des marchés. Une pause qui se justifie également par le durcissement de la réglementation dans les pays occidentaux, et par le repli, lié à la crise, des investisseurs occidentaux sur leur marché national.

Pour autant, la Chine et l'Inde se sont engagées à se conformer aux règles de Bâle 3 sur la solvabilité des banques, un engagement facilité par le fait que ces deux pays n'ont été touchés ni par la crise des subprimes, ni par celle de la dette.

De timides réformes pour attirer les étrangers

La crise a provoqué le retrait de certains acteurs de la finance des pays émergents, notamment dans le "retail" : plus aucune banque étrangère n'officie dans la banque de détail en Russie, Goldman Sachs s'est retirée de Chine, et la pourtant très internationale HSBC a également réduit la voilure.

Pour compenser le tarissement de flux qui contribuent, dans une certaine mesure, à financer la croissance chinoise, Pékin a récemment donné la possibilité aux détenteurs de yuans "offshore" d'investir sur les marchés chinois, et a augmenté ses quotas sur les investissements étrangers. Autant de mesures destinées à faire oublier que la Bourse de Shanghaï a chuté de près de 22 % en 2011.

Audrey Fournier

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