lundi 30 janvier 2012

Stiglitz exhorte les Européens à repenser leur gestion de la crise

Le prix Nobel d'Economie, connu pour ses positions keynésiennes, compare les politiques d'austérité actuelles à la pratique de la saignée dans la médecine médiévale. Seul l'investissement public peut casser cette spirale infernale, juge-t-il.


Que Joseph Stiglitz, prix Nobel d'Economie réputé pour ses positions anticonformistes, se distingue dans son analyse de la crise européenne, est certes logique. Mais hier,lors du Forum financier asiatique de Hong Kong, le célèbre économiste a eu des mots d'un rare pessimisme au sujet du Vieux Continent. Pour lui, les responsables européens, sous la pression d'un consensus financier douteux, sont en train de mener leurs pays au chaos, et la monnaie unique à une disparition presque inévitable.
L'Europe, a jugé l'économiste, est en train de « rendre la faveur aux Etats-Unis », en exportant à son tour une crise de plus en plus inextricable et globale. En cause : des politiques d'austérité « clairement insoutenables ». Au lieu de finaliser, dès 2010, l'édifice politique qui aurait rendu la zone euro cohérente et tenable, les pays d'Europe ont imposé à la Grèce un serrage de ceinture qui n'a fait qu'augmenter le poids de sa dette publique -car l'effondrement de la conjoncture a fait fondre les recettes fiscales. « Bien que l'austérité soit néfaste, la réponse politique est d'en exiger toujours plus », a critiqué le professeur de l'université américaine Columbia. Avant de comparer cet acharnement à « la pratique de la saignée dans la médecine médiévale ». Au final, la crise voit vaciller des pays comme l'Espagne et l'Irlande « qui avaient pourtant des budgets excédentaires avant la crise ».
Que faire ? Relever les taxes pour, au contraire, pouvoir dépenser plus, et jouer ainsi sur l'effet de multiplicateur budgétaire, « base de la théorie économique », censé démultiplier sur le PIB l'augmentation de la dépense publique « avec un facteur allant de un à trois ».
La véritable urgence est de repenser l'architecture financière mondiale, assure Stiglitz. Avec deux mots clés : régulation et transparence. Régulation car la seule période longue de stabilité financière qu'ait connue le monde est celle qui a suivi la crise de 1929, qui se caractérisait par la présence de garde-fous solides. Depuis les dérégulations des années 1980, « la fréquence des crises financières ne cesse de s'accélérer ». Et le coût collectif de ces crises, ajoute Stiglitz, est « très nettement supérieur à ce qu'aurait coûté la mise en place de régulations adéquates ». Quant à la transparence, elle est plus que jamais nécessaire pour ramener de la sérénité sur la planète financière. Il suffit pour s'en convaincre de se pencher aujourd'hui sur le marché des CDS (Credit default swaps, qui permettent d'assurer un acquéreur de titres financiers) rattachés aux dettes souveraines européennes. Aujourd'hui, nul n'est en mesure de savoir comment ces produits sont répartis dans le monde, prévient-il. D'où le caractère potentiellement explosif d'un défaut de paiement d'un pays européen qui « pourrait geler le marché mondial du crédit d'une manière comparable à ce que nous avons connu en 2008 ».
Au final, celui qui, à la fin des années 1990, avait vu juste en critiquant les politiques exigées par le FMI pour venir en aide aux pays asiatiques, estime que la question qui s'impose peu à peu est « comment l'euro va finir ?». Jusqu'où les peuples d'Europe accepteront-ils cette potion amère ? s'interroge-t-il en précisant que le chômage des jeunes dépasse 40% en Espagne depuis 2008. Et de rappeler le destin de l'étalon or après la crise de 1929 : « ce sont les premiers pays à l'avoir quitté qui s'en sont sorti le mieux ».
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GABRIEL GRÉSILLON, À HONG KONG

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