Le rapport de 120 pages, rendu public, lundi, par l'Université d'Harvard dynamite la théorie de la pénurie mondiale d'énergie et porte un coup dur aux politiques des énergies alternatives. S'agit-il d'un coup du lobby du pétrole ou d'un démenti cinglant aux Cassandre, dans la fin des énergies fossiles?
La flambée du prix du pétrole du printemps est terminée. Mais elle a suscité une inquiétude suffisamment profonde aux Etats-Unis pour que le dossier énergétique devienne l'un des enjeux-clés de l'élection présidentielle. Mitt Romney et Barack Obama n'ont cessé de s'opposer sur ce dossier. Fidèle à l'ensemble de son mandat, le président a tourné le dos tout au lond de son mandat à ses envolées lyriques sur le développement des énergies alternatives pour y revenir depuis le début de sa campagne pour sa réélection. Quant à Mitt Romney, il n'a cessé de rappeler son action en faveur de l'utilisation de l'énergie solaire lorsqu'il était gouverneur du Massachussets.
Pourtant, le "Wall Street Journal" a pointé du doigt dans son édition d'hier ce qu'il sous-entend être la vacuité du débat, en posant sur la table le «boom pétrolier» que connaît actuellement l'Amérique. Le quotidien illustre son propos en s'appuyant sur un rapport de l'Université d'Harvard publié ce lundi et dont les conclusions ont de quoi faire grincer des dents les partisans des énergies alternatives.
Le retour de Malaugeri
Le rapport que vient de publier le Belfer Center for Science and International Affaires, au sein de l'Université d'Harvard, redonne un écho mondiale à la théorie que défend depuis de nombreuses années l'un des plus éminents spécialistes mondiaux de l'énergie, Leornardo Maugeri, qui fut également, de 2000 à 2010, à la tête de la 6ème plus grande compagnie d'exploitation pétrolière, l'italienne ENI. Malaugeri a toujours expliqué, pour simplifier, que le développement des technologies à disposition des pétroliers entraînerait une capacité de prospection et d'utilisation des énergies fossiles qui démentiraient les avertissements récurrents sur la fin de ces réserves. Or, les faits finissent aujourd'hui par sembler lui donner raison.
Effondrement du prix du pétrole?
Le rapport de James F. Smith compile un nombre de données actuelles impressionnants à travers toute la planète. Il explique ainsi que la capacité de production de pétrole est en pleine progression aux États-Unis et dans plusieurs autres pays, à un rythme si rapide qui la capacité mondiale de production de pétrole est susceptible de croître de près de 20%, en 2020, ce qui pourrait provoquer un effondrement des prix du pétrole.
Leonardo Maugeri y explique que contrairement à certaines prédictions selon lesquelles la production mondiale de pétrole a atteint un sommet ou le fera bientôt, la production devrait croître pour passer de 93 millions de barils, par jour, actuellement, à 110 millions de barils, par jour, d'ici 2020, soit le plus grand bond, depuis les années 1980. Qui plus est, cette augmentation représente moins de 40% de la nouvelle production de pétrole attendue dans le monde: plus de 60% de cette production devrait en effet atteindre le marché, après 2020.
Maugeri estime que la production brute supplémentaire due à l'exploration actuelle et aux projets de développement dans le monde pourrait produire environ 49 millions de barils supplémentaires par jour, d'ici 2020, soit une augmentation équivalente à plus de la moitié des 93 millions de barils, par jours produits aujourd'hui. Après ajustement en fonction des facteurs de risque politiques et techniques ainsi que des taux d'épuisement de compensation des champs actuels, l'augmentation de la production brute conduiraient à un accroissement net de 17,5 millions de barils, par jour, en 2020.
Rentable à 70 dollars, le baril
L'étude attribue la croissance attendue de la production pétrolière, en grande partie, à une combinaison de prix élevés du pétrole et de nouvelles technologies, telles que la fracturation hydraulique, qui ouvre de vastes domaines en permettant désormais l'extraction du pétrole "non conventionnel" comme le pétrole lourd ou les sables bitumineux et ultra-lourds. Ces augmentations devraient être les plus importantes aux États-Unis, au Canada, au Venezuela et au Brésil.
Maugeri prédit aussi une augmentation importante de la production pétrolière de l'Irak si le pays parvient à se stabiliser durablement, ce qui va ajouter une nouvelle production dans la région du golfe Persique - affaiblissant du coup la capacité de l'OPEP à gérer la production et les prix.
La combinaison de la production nouvelle dans l'hémisphère occidental et de la production continue dans d'autres parties du monde pourrait conduire à une forte baisse des prix du pétrole. Si ces facteurs sont suffisamment forts, ils pourraient conduire les compagnies pétrolières à réduire leurs investissements et, finalement, à ralentir l'approvisionnement en pétrole. Mais si les prix du pétrole restent au-dessus d'environ 70 dollars, le baril, des investissements suffisants seront effectués pour soutenir la croissance continue de la production, conduisant éventuellement à un phénomène de surproduction de pétrole, après 2015.
L'Amérique revit la ruée vers l'Or noir
Jusqu'à récemment, les thèses de Maugeri étaient controversées. Mais l'homme revient au devant de la scène, porté par les évidences. Et la première de ces évidences est la relance très rapide de l'exploitation des réserves fossiles par les Etats-Unis. Par exemple, les champs de Bakken et de Three Forks dans le Dakota du Nord et le Montana pourraient devenir conduire à la création d'un équivalent du golfe Persique, à l'intérieur même des États-Unis. A Bakken, la production est ainsi passée de quelques barils, en 2006, à 530.000, par jour, en décembre 2011.
Vers une nouvelle autosuffisance?
Voici les principaux points qui se dégagent du rapport publié par l'Université d'Harvard:
Le pétrole n'est pas une denrée rare. D'un point de vue purement physique, il y a d'énormes volumes de pétrole conventionnel et non conventionnel qui peuvent encore être exploités, sans "pic pétrolier" en vue. Le déploiement complet du potentiel pétrolier mondial dépend uniquement du prix, de la technologie, et des facteurs politiques. Plus de 80% de la production supplémentaire en cours de développement semble globalement être rentable avec un prix situé au-dessus de 70 dollars, le baril.
Tout retrait significatif de la production supplémentaire, en Irak, aux Etats-Unis et au Canada aurait un impact négatif sur le marché mondial du pétrole, compte tenu de leur potentiel de production nouvelle, en 2020. Toutefois, un recul important des producteurs traditionnels de grands tels que l'Arabie Saoudite ou la Russie pourrait avoir le même effet.
Le boom du gaz de schiste et du pétrole lourd aux États-Unis n'est pas une bulle temporaire, mais la révolution la plus importante dans le secteur pétrolier depuis des décennies. Il va probablement lancer l'émulation dans le monde entier, bien que le boom des États-Unis soit difficile à reproduire, compte tenu des caractéristiques uniques du pétrole aux États-Unis (et du gaz). Quel que soit le moment, l'émulation au cours des prochaines décennies pourrait donner des résultats surprenants, compte tenu du fait que la plupart des ressources de schiste et de pétrole lourd dans le monde sont encore inconnues et inexploitées. La Chine semble être le premier pays à suivre l'exemple des États-Unis. En outre, l'extension du forage horizontal et de la fracturation hydraulique combinée à des champs de pétrole conventionnel pourrait augmenter considérablement la production mondiale de pétrole mature sur des gisements de pétrole en déclin.
Dans l'ensemble, la production de pétrole conventionnel est également en augmentation à travers le monde, bien que certains domaines soient affectés. La mer du Nord fait face à un déclin apparemment irréversible de la capacité de production. Dans la plupart des pays producteurs traditionnels, cependant, les champs pétrolifères anciens connaissent un renouveau grâce à de meilleures techniques de production et de nouvelles connaissances pour l'exploration, ainsi qu'à des technologies de pointe pour la production, jusqu'à présent utilisées uniquement aux États-Unis et dans la mer du Nord. D'immenses parties du monde sont encore relativement inexplorées pour le pétrole conventionnel (par exemple, la mer Arctique ou la plupart de l'Afrique subsaharienne).
L'âge de "pétrole pas cher" est, probablement, derrière nous, mais la technologie peut transformer le pétrole cher d'aujourd'hui en pétrole pas cher de demain.
Le marché du pétrole restera très volatile, jusqu'en 2015, et sujet à des mouvements extrêmes dans des directions opposées, ce qui représente un défi majeur pour les investisseurs, en dépit des opportunités futures. Après 2015, cependant, la plupart des projets envisagés fera progresser de manière significative les capacités de production dans le monde. Cela pourrait provoquer un phénomène majeur de surproduction et conduire à une importante baisse des prix du pétrole, à moins que la demande de pétrole continue de croître à un rythme soutenu annuel d'au moins 1,6%, pendant toute la décennie.
Une révolution dans les technologies environnementales est nécessaire pour soutenir le développement de la plupart des pétroles non conventionnels, avec une application stricte des normes déjà existantes, plutôt que massive sur-réglementation. Sans une telle révolution, un différend continu entre l'industrie et les groupes environnementaux forcera le gouvernement à retarder le développement de nouveaux projets.
Surproduction et bouleversements géopolitiques
Le contenu et les conclusions de ce rapport ouvre évidemment le champ à d'importantes conséquences géopolitiques. Le Belfer Center estime ainsi que l'Asie sera le marché de référence pour la majeure partie du pétrole du Moyen-Orient, et que la Chine s'imposera comme le nouveau protagoniste, pour toutes les affaires politiques de la région.
Dans le même temps, l'hémisphère occidental pourrait revenir à un état d'avant la Seconde guerre mondiale, c'est à dire à une situation d'autosuffisance pétrolière, et les États-Unis pourraient réduire considérablement leurs besoins d'importation de pétrole.Toutefois, la révolution du pétrole non conventionnel aux États-Unis dans l'hémisphère occidental ne doit pas occulter le fait que jusqu'en 2020 et au-delà, plus de 50% de la production mondiale de pétrole va continuer à provenir d'un arc géographique qui s'étend de la Russie au golfe Persique. Chaque événement important concernant cet arc géographique sera cruciale pour la stabilité globale du marché mondial du pétrole. Le rapport estime que dans les prochaines décennies, le rôle croissant des pétroles non conventionnels feront de l'hémisphère occidental le nouveau centre de gravité de l'exploration pétrolière et la production.
Stephane Trano
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire