jeudi 14 juin 2012

Dagong, l’agence de notation chinoise boudée par les Occidentaux



Par Marc Etcheverry

Standard and Poor’s a dégradé, vendredi 13 janvier 2012, la note de la dette souveraine française. Paris a perdu sont AAA. Pourtant, pour l’agence de notation chinoise Dagong, l’excellence française en matière de finance publique est déjà un lointain souvenir. Derrière les trois « historiques » que sont Moody’s, Fitch Ratings et Standard and Poor’s, la petite dernière assume un regard singulier et souhaite ardemment faire bouger les lignes au sein de la finance mondiale dominée par la vision occidentale.

A regarder le carnet de notes rempli par Dagong, on croirait ne pas avoir affaire à la même classe. Les élèves sont pourtant les mêmes. Pas les têtes de Turcs. La France ? Seulement un petit A+. La Chine ? C’est bien mieux : AA+. Les Etats-Unis ? A. Tout juste.
Dagong Global Credit Rating, apparu en Chine en 1994, a ainsi fait son entrée dans le club très fermé des agences de notation des dettes souveraines en juillet 2010, avec un rapport explosif sur une cinquantaine de pays. Là où Moody’s ou Fitch Ratings gratifiaient de la meilleure note possible les Etats moteurs de la zone euro, leur homologue chinois y trouvait à redire. Pour Dagong, par exemple, Paris n’a jamais perdu son AAA… puisqu’elle ne l’a jamais obtenu. Et son président, Guan Jianzhong, de tirer à cette même époque une salve de critiques à l’endroit de ses concurrents dans le Financial Times, pour remettre en cause leur indépendance vis-à-vis de leurs clients : « La crise financière a eu lieu parce que les agences de notation n’ont pas reflété correctement les risques ».


Culture de l’opacité


De fait, Dagong a bénéficié de la crise financière de 2008, et du discrédit jeté sur l’évaluation de nombreux actifs toxiques par les agences historiques. Mais son arrivée fut accueillie avec incrédulité par les acteurs du monde de la finance. Au moment où la Chine s’immisçait dans les économies européennes en difficulté, et s’opposait frontalement aux Etats-Unis sur la question de leur dette, les évaluations de Dagong, si elles ont attiré l’attention, ne lui ont pas apporté plus de crédit. « Dagong est perçue comme une agence sous influence politique », confirme Norbert Gaillard, consultant pour la Banque mondiale et auteur de l’ouvrage Les agences de notation (La Découverte). Ce spécialiste rappelle ainsi qu’en octobre 2010, la Security and Exchange Commission (SEC), l’organe de contrôle et de régulation des marchés financiers américains, lui a refusé son accréditation. Une décision qualifiée de « discriminatoire » par Guan Jianzhong, qui y a vu la volonté de Washington de garantir le monopole des « Trois » sur la marché de la notation internationale. Mais paradoxalement, le patron de Dagong a aussi avancé l’argument du droit de regard sur les investissements chinois aux Etats-Unis, ce qui donne à cette affaire un caractère autrement plus politique.
Il est vrai cependant que Dagong n’excelle pas dans la transparence. Hormis les déclarations tonitruantes de son PDG, et les notes assassines adressées aux pays développés, peu de choses sortent des murs de son siège, situé à Pékin. La société revendique 500 salariés, répartis dans 34 succursales éparpillées sur le sol chinois. En 2010, la société annonçait néanmoins, ambitieuse, l’embauche de 1000 employés sur deux ans.

Mais a-t-elle au moins l’oreille attentive de son propre pays, premier créancier au monde ? Rien n’est moins sûr. Ou du moins, Pékin utilise encore les indicateurs occidentaux pour faire valoir son droit de regard sur les économies qu’elle soutient : début août 2011, Dagong dégrade la note américaine, sans trop de remous. Quelques jours plus tard, Standard and Poor’s fait de même et retire son AAA à Washington. Les autorités chinoises se déchaînent. La Chine possède toujours près de 8% de la dette américaine.

L’agence des pays émergents
La méthode de calcul est au centre des interrogations. « Dagong surpondère les critères de dette publique et de croissance du PIB, c'est pourquoi elle note très bien les grands pays émergents, les BRIC - Brésil, Russie, Inde et Chine - ainsi que l'Arabie Saoudite, qui se sont désendettés au cours des années 2000 grâce à une forte croissance économique, explique Norbert Gaillard. En revanche, elle est beaucoup plus sévère à l'égard des pays industrialisés qui ont des ratings bien plus bas ». Lorsqu’elle dégrade la note française (de AA- à A+), au début du mois de décembre dernier, Dagong justifie sa décision par la perte de compétitivité internationale de l’économie française, en tablant sur une croissance très faible.
Mais alors, en dépit des soupçons de partialité qui pèsent sur elle, Dagong est-elle néanmoins dans le vrai ? Pour l’économiste Patrick Artus, directeur de la Recherche et des Etudes économiques chez Natixis et professeur à l’Ecole polytechnique, la méthode de calcul de Dagong n’est pas à railler. Dans une note rédigée en juin 2011, il conclut ainsi que les valeurs attribuées par l’agence chinoise à six pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Belgique, Italie et Espagne) sont plus proches de la réalité que celles de Moody’s, Fitch Ratings et Standard and Poor’s. Et de fait, si les notes ne sont pas les mêmes, plusieurs dégradations opérées par Dagong ont été imitées peu de temps après par ses concurrentes.

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