La crise de la zone euro est une crise bancaire qui a pris la forme d'une série de crises des dettes souveraines. Une crise aggravée par des idées économiques réactionnaires, une architecture défectueuse et un climat politique toxique. Comme la crise américaine, elle est le fruit de politiques de prêts laxistes destinés à des emprunteurs fragiles : le logement en Espagne, l'immobilier commercial en Irlande, le secteur public grec. Les banques européennes ont profité des effets de levier offerts par les actifs toxiques américains.
Quand ceux-ci se sont effondrés, elles ont choisi de se débarrasser des obligations des Etats les plus fragiles au profit des plus forts afin de préserver leur rentabilité, ce qui a plongé l'UE dans la crise.
Dans ce type de crise, le premier réflexe des banques est de feindre la surprise avant de reprocher à leurs clients leurs imprudences voire leurs tricheries. Cela dissimule le fait qu'il fut un temps où les banquiers accordèrent des prêts trop facilement, dans le but d'empocher de généreuses commissions. Cette stratégie de défense des banques fonctionne bien mieux en Europe qu'aux Etats-Unis, du fait des frontières nationales qui séparent les créanciers des débiteurs, et des liens unissant les dirigeants politiques à leurs fleurons bancaires nationaux, qui du coup n'hésitent pas à propager des clichés racistes.
Aux fondements de ce pouvoir bancaire, on trouve une sensibilité qui fait des excédents un signe de vertu et des déficits un vice, un fétichisme de la dérégulation, de la privatisation et des ajustements par le marché. L'Europe du Nord a bel et bien oublié qu'une intégration économique a toujours pour effet déconcentrer l'industrie dans les régions les plus riches.
L'Allemagne et maintenant la France font donc la leçon aux pays endettés : rigueur salariale, coupes budgétaires. Des leçons qui sont devenues des injonctions du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne (BCE) : les nouveaux gueux endettés ne vivent plus en démocratie.
L'architecture de la zone euro aggrave la crise de deux façons : premièrement, les fonds structurels sont trop faibles pour corriger les inégalités régionales et leurs versements sont bloqués, car les conditions de cofinancements sont difficiles àremplir. Il manque aussi des mécanismes interrégionaux de redistribution vers les ménages, comme ceux instaurés aux Etats-Unis : retraite publique, Medicare, Medicaid, etc.
Ensuite, la BCE refuse de résoudre cette crise en achetant les titres des pays fragilisés - au nom du principe selon lequel aider ces Etats revient à les encouragerà s'endetter, un argument renforcé par des craintes inflationnistes. La zone euro a donc préféré se lancer dans la création d'un gigantesque CDO (Collateralized Debt Obligation, adossée à des actifs) appelé le Fonds européen de stabilité financière.
Pourtant, des solutions techniques existent, par exemple la "modeste proposition" de Yanis Varoufakis (professeur d'économie université d'Athènes) et de Stuart Holland (ancien parlementaire britannique) suggère de convertir jusqu'à 60 % du PIB de la dette de chacun des pays de la zone euro en titres européens émis par la BCE, de recapitaliser et d'européaniser le système bancaire, et de lancer un New Deal par l'intermédiaire de la Banque européenne d'investissement. On peut aussipenser à instaurer un droit à la faillite nationale (Kunibert Raffer), à faire de la BCE un "groupe public au service de l'intérêt général et du développement" comme la Caisse de dépôts (Thomas Palley) ou encore à taxer les profits des banques (Jan Toporowski).
De ces très bonnes idées, aucune ne verra le jour. Car en Europe, les termes du débat sont hermétiques aux idées nouvelles, la survie politique reposant sur la capacité à faire "le ménage" dans les comptes publics. Tout est fait pour ne pasaffronter la réalité : la crise bancaire. Chaque réunion européenne conduit à l'adoption de sous-mesures perfides et de vraies fuites en avant. Quant au sort des plus faibles, il est au mieux considéré comme un dommage collatéral, voire comme un mal nécessaire.
La Grèce et l'Irlande sont en train d'être détruites. Le Portugal et l'Espagne sont en lambeaux, la crise se propage à l'Italie et la France se débat pour retarder la perte de son AAA. S'il y avait une façon simple de sortir de l'euro, la Grèce l'aurait déjà fait. Le seul pays qui pourrait choisir cette voie est l'Allemagne.
Pour les autres, il s'agit de choisir entre le cancer ou la crise cardiaque, à moins d'un changement radical en Europe du Nord qu'aucun des partis socialistes allemand ou français à même d'accéder au pouvoir ne semble capable d'apporter. Alors on se dirige vers une explosion sociale, doublée d'une panique financière et d'un inexorable retour de l'émigration. Ne reste qu'à compter sur la capacité des citoyens européens à se défendre.
Ne faites pas la même erreur historique que nous. Quand les Etats-Unis décidèrent d'intervenir en Irak, la vieille Europe n'hésita pas à dire que notre pays faisait une erreur. Ce fut un soulagement pour les opposants à la guerre, mais un affront pour le gouvernement. Aujourd'hui, c'est un américain de la vieille Amérique, celle de la guerre civile, du New Deal qui tente de dire à ses amis européens qu'ils sont en train de faire une erreur historique en refusant d'entendre des idées de bon sens, c'est-à-dire de faire face à une situation exceptionnelle.
James K. Galbraith, économiste, Aurore Lalucq, économiste Institut Veblen
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