Métropole postapocalyptique, Détroit est, aujourd’hui, laissé à l’abandon et envahi par les herbes folles qui lui donnent une image de calme étrange et inquiétant.
Zone de guerre, zone sinistrée. Drôle de sort que subit l’ex-capitale mondiale de l’automobile qui a connu son apogée, dans les années 50, une époque où les trois grands constructeurs (GM, Chrysler et Ford) faisaient tourner l’économie de la ville lui donnant le surnom de Motortown ou Motown.
Aujourd’hui, les grandes avenues où l’automobile était reine sont vides. Pas d’heure de pointe ni de bouchon de circulation. La chute de Détroit, qui a perdu plus de un million d’habitants ces soixante dernières années, ne fait que s’accentuer, depuis 2010. Le chômage atteint des proportions endémiques et touche massivement la population noire qui tente de survivre dans ce no man’s land que constitue désormais le centre-ville délabré.
Il y a un mouvement qui prend racine au travers des rues bordées d’énormes bâtiments en ruine, de maisons barricadées et incendiées. Des maisons laissées à l’abandon par leurs propriétaires qui croulaient sous les dettes de la crise économique et dont les créanciers ne savent trop quoi faire.
Au lieu de décourager les initiatives, Motown provoque l’effet inverse, à tout le moins chez un petit groupe d’altermondialistes, d’artistes et d’entrepreneurs inspirés par le caractère «destroy» de Détroit, grâce entre autres aux terrains et aux loyers dérisoires. De grands lots sont à vendre pour moins de 500$, des prix dignes des années passées. Ces nouveaux migrants ont lancé le mouvement Do it ourselves, qui prône la réappropriation de l’espace urbain et industriel avec des moyens de fortune, une forme de pied de nez aux grands industriels adeptes de la délocalisation qui a entraîné la mort de Détroit.
Une ville faite et défaite par les géants de l’automobile est en train d’être refaite par les alternatifs qui donnent un tout nouveau sens au rêve américain.
L’homme qui plantait des arbres
Mike Score fait partie de ce groupe d’originaux qui voit plutôt en Détroit un laboratoire et une occasion unique. Sa petite entreprise Hantz Farm achète des maisons et des terrains délabrés de la municipalité, qui les a saisis pour non-paiement de taxes. Pour quelques centaines de dollars, ces maisons vides où des familles ont jadis vécu sont liquidées à l’encan. L’entreprise les acquiert, les démolit, remblaie le trou béant de la fondation et y plante des arbres.
Dans cette ville où Henry Ford a construit sa première automobile, pousse aujourd’hui, entre les anciennes usines de montage et les quartiers ouvriers, des chênes, des érables et d’autres essences d’arbre qui composeront — lorsqu’ils auront atteint leur pleine croissance — de nouveaux espaces verts urbains.
Cette initiative fait le bonheur des résidents qui, assez curieusement, continuent de cohabiter à côté des maisons délabrées où les vendeurs de drogue faisaient leurs affaires. Ruth, une petite dame de 80 ans, qui a toujours vécu dans le quartier, trouve que la vie s’est améliorée, depuis que des arbres ont remplacé les maisons voisines vandalisées par les voyous du coin.
Certes, elle trouve que la vie a bien changé depuis les années où Détroit était la capitale mondiale de l’automobile, mais elle prend avec philosophie la décrépitude de sa ville qu’elle aime malgré tout. Surtout, depuis que les écureuils et les ratons laveurs ont élu domicile, dans le jardin voisin.
Métropole classée comme la plus violente des États-Unis, avec près d’un meurtre par jour, il n’est pas étonnant que Détroit ait perdu une bonne partie de sa population. Elle est partie en laissant derrière elle le tiers de la ville à l’abandon. Contrairement à Ruth, qui n’a jamais songé à partir, la majorité de la population blanche s’est réfugiée dans les banlieues autour du centre-ville pour créer ce que les urbanistes appellent «l’effet trou de beigne».
Si Détroit remporte la palme du donut, cette ville deviendra peut-être aussi la référence de la nouvelle urbanisation postcrise industrielle.
Danny Braün
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