vendredi 6 juillet 2012

Grèce : le spectre de la famine


IRIB-Notre univers se précise et s'affine dans toutes ses expressions du possible et du possible politique.
Ou plutôt en acquiert les scléroses les plus grossières de la crise, en les normalisant. Et de fait, ce possible politique se réduit de plus en plus aux acquis les plus élémentaires et essentiels, à savoir la survie. Faire face à la peur de la famine, du dénuement, et à celle de l'altérité, considérée chaque jour davantage comme menaçante et pour tout dire, à abattre. Ce qui nous reste : quelques droits sociaux en guise de maigres reliques de musée, dans un univers qui ne serait plus tout à fait le corps social.

N'empêche, à gauche on se félicite de la décision d'une Chambre de Justice athénienne, déclarant inconstitutionnelles les diminutions forcées et unilatérales des salaires et des primes dans la fonction publique, en violation de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, et des Conventions du Bureau International du Travail. Il s'agit certes d'un pas significatif, et le quotidien de la Gauche radicale Avghi, daté de ce mardi (03/07), n'hésite pas à «saluer cette fissure de la construction salairophage». Mais pour quelle efficacité dans les faits ? Encore mystère.

«La main nourricière»


Du côté obscur de la force, l'Aube dorée souhaite élargir son assiette politique, en organisant la gamelle du citoyen. Selon le reportage daté du 2 juillet sur le site de La Repubblica – «A Athènes, un marché à bas prix pour ceux qui ont du sang grec» – repris par le quotidien grec Protothema, le parti d'extrême-droite est en train de mettre en place des épiceries citoyennes dans les quartiers en souffrance du grand Ouest athénien, à la manière de celles, déjà opérationnelles, créées à l'initiative du monde associatif, de l'église et de certaines municipalités. D'ailleurs, les repas distribués chaque jour, rien qu'à Athènes, se comptent pas milliers. La particularité de cette initiative citoyenne du label d'extrême-droite est pourtant explicite : «offrir gratuitement, ou vendre à très bas prix, des repas et des denrées alimentaires aux seuls citoyens grecs, pouvant prouver leur appartenance à la nation par les liens du sang». Ce n'est pas d'une grande originalité certes, sauf que la portée politique de cette ethnicisation de l'humanitaire est d'emblée assurée. Hier encore, Ilias Kasidiaris, inaugurant une nouvelle antenne locale de son mouvement dans les faubourgs nord d'Athènes, a réussi à rassembler un millier de personnes enthousiastes.

Aux antipodes, Alexis Tsipras a déjà souligné la nécessité d'un plan d'urgence «dans l'entraide et la solidarité citoyenne et de gauche». La crise humanitaire serait toute proche. Plus à gauche, chez les paléocommunistes du KKE, on demeure pourtant dubitatif : «Je préfère mourir plutôt que d'accepter l'aide alimentaire, il n'y a que la lutte qui compte», résumait ainsi une militante rencontrée lors du meeting préélectoral du parti, à Athènes, il y a deux semaines.

En tout cas, nul doute que la politique se fait et se fera désormais aussi dans l'assiette du pauvre. Là résiderait toute la force historique de ce «possible politique se réduisant aux acquis les plus élémentaires». Et la réflexion citoyenne se réduira à son tour – qui peut en douter –  à la seule contemplation politiquement correcte restante, que suggère désormais la «main visible nourricière». Et ce n'est pas sans raison que certains éditorialistes à gauche rappellent que du temps du Front National de Libération (EAM) des années 1940, une des priorités essentielles de la politique armée des partisans était la lutte contre la famine, tandis qu'au même moment, les autorités allemandes occupantes ainsi que les organisations de droite de l'époque, n'ont pas non plus négligé le biais politique de l'aide d'urgence. Nous n'en sommes pas à la famine des années 1941-1943 bien évidemment. Mais le refrain de ce vieux temps de toutes les misères réunies se fait de plus en plus entendre...

«Depuis le 17 juin, nous sommes morts»


Dans un registre appremment différent, Stelios Vaskos, enfant du pays, s'est rendu à Munich depuis Trikala, en vélo, et aux dernières nouvelles il serait sur la route du retour, tandis que la Croix Rouge locale organise un concerto pour violon. Par une affichette collée sur les murs de la Préfecture, la Société de la protection des animaux de la ville voisine, Karditsa, lance un SOS: «Après le vol des aliments destinés à nos bêtes, la boue et la neige de l'hiver dernier ont donné pratiquement le coup de grâce à notre chenil, tant d'années d'efforts...». Certaines télévisions à audience nationale, ont montré des reportages sur la dure vie des bêtes sous le mémorandum : abandons, mises à mort, violences.

C'est sans doute pour cette raison que lundi soir, le 2 juillet, Antonis Samaras et les autres chefs politiques de la coalition, se sont réunis pour enfin trouver une parade face à la Troïka, attendue dans la semaine en Grèce. En réalité ils n'ont aucune marge de négociation et tout le monde le comprend : «Ils appliqueront le Mémorandum, rien que le Mémorandum, on le sait. Samaras est un nul, d'ailleurs au Sommet de Bruxelles, il n'y a pas eu un seul mot pour la Grèce. Il s'avère que depuis le 17 juin, nous sommes morts», entend-on dire au café de la forteresse de la ville de Trikala. Mais la discussion ne va pas plus loin. Car chez certains en tout cas, sans doute à cause du vote en faveur du tripartisme de la «Troïka de l'intérieur», vouloir tirer davantage le raisonnement devient un exercice délicat.

En pareilles circonstances mieux vaut se taire. On préfère alors changer de sujet de conversation pour ainsi évoquer «l'histoire infaillible de notre glorieux peuple», et autres stéréotypes de ce genre en guise de pommade, recyclables à souhait dans tout café du commerce qui se respecte. On regrette néanmoins la fuite des jeunes, leur nouvelle émigration d'urgence, et pour clore la discussion, certains se remémorent même leurs vieux souvenirs du temps de la «RFA positive» de Willy Brandt ou de Helmut Schmidt : «J'étais à mes débuts ouvrier-carrossier à Karlsruhe, ensuite je suis devenu restaurateur, et au bout de quinze ans, je suis revenu en Grèce disposant de 800.000 DM pour enfin réaliser mon rêve : monter un restaurant au pays et quitter l'Allemagne. Je suis sur le point de faire faillite actuellement, il n'y a plus de rêve, mais dans moins d'un an je serai à la retraite».

L'euro est sauvé, mais «l'Hellenic» sombre doucement


La lutte épicière a déjà commencé et aura certainement de beaux jours devant elle dans ce pays. En attendant, des voleurs qui avaient dévalisé les églises de Milos viennent d'être arrêtés par la police des Cyclades, tandis qu'au même moment à Athènes, des affichettes s'adressant à nos amis germanophones, vantent les mérites des chambres à louer à Sikinos (une très belle île, c'est vrai). Mon voisin Aris au village n'ira pas de toute façon, il a dépensé tout son argent pour acheter 9 tonnes de bois pour l'hiver prochain. Il a aussi augmenté sa production de tomates sous serre et n'attend plus de jours meilleurs.

On se prépare en effet déjà pour l'hiver. Chacun selon ses capacités, chacun selon ses besoins. C'est ainsi que deux popes au département voisin de Karditsa ont escroqué le Trésor Public, en falsifiant les formulaires d'usage servant au versement des pensions des prélats par l'État. Résultat (divin) : 700.000 euros entre janvier et juin 2012. Les deux hommes ont été mis en examen. Et pour ce qui est du clergé, aux dires de certains ici à Trikala, des commissaires politiques de l'Eglise locale auraient suggéré une ligne politique officieuse sans équivoque : «Votons et faisons voter Aube dorée, c'est notre seule manière d'être sauvés». D'autres habitants réfutent ces propos : «Il s'agit sans doute de certains cas isolés. Car tout le monde sait qu'ici, l'Eglise et les monastères se sont prononcés en faveur d'un député Nouvelle Démocratie et pas n'importe lequel, il s'agit de l'ancien Préfet (élu). Combien de routes ou autres travaux d'aménagement du territoire sacré sous commande des moines, ont été engagés durant son passage par l'administration préfectorale ?»

Lors de son passage dans un colloque organisé par The Economist, le 2 juillet, Alexis Tsipras a encore une fois souligné que l'idée de la croissance n'était envisageable qu'après «abandon du mémorandum, instauration d'une taxe Tobin, édition d'eurobonds, et mise en place d'une législation réglementant le secteur des banques et neutralisant les paradis fiscaux». C'est peut-être encore une nouvelle forme de lutte épicière à un autre niveau...

En attendant, les épiciers mondiaux nous quittent. Carrefour par exemple, qui a vendu sa part à son associé indigène Marinopoulos. Le Crédit Agricole également, qui met en vente sa filiale grecque Emporiki Bank. Le capitalisme français serait sur le point de nous quitter, car cette Baronnie serait alors plutôt allemande, davantage parait-il, depuis le 17 juin. New Deal, ou simple partage du nouveau Levant, qui sait...

Selon la presse locale, on attend dans quelques jours la visite probable du porte-avion USS Dwight D. Eisenhower, qui devrait rencontrer sous peu en Méditerranée Orientale, le Charles de Gaulle... De tout temps, l'Orient est un mirage de l'Occident...

Panagiotis Grigoriou

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