vendredi 30 décembre 2011

Dix ans après, l'euro reste associé à une perte de pouvoir d'achat


Une décennie déjà. Le 1er janvier 2012, l’euro fêtera ses 10 ans de vie dans le porte-monnaie des Français. La monnaie unique avait remplacé le franc dans la vie courante –et les monnaies de onze autres Etats européens– trois ans après avoirfait son introduction sur les marchés financiers. Triste anniversaire, au moment où la zone euro traverse la plus grande crise financière de sa jeune histoire.

Bouc émissaire des angoisses inflationnistes, corset étriquant les pays européens, monnaie symbolisant les règles édictées par des bureaucrates de Bruxelles… l’euro est aujourd’hui accusé de tous les maux. Par les citoyens européens en général, les entreprises soulignant, elles, plus volontiers les bénéfices qu’elles tirent de cette monnaie unique.
Plus d’un tiers des Français (36%) souhaiteraient ainsi que l’on revienne au franc et 45% estiment que l’euro est un handicap pour l’économie française, selon un sondage Ipsos-Logica réalisé pour l’association Lire la société, publié au début du mois de décembre.
En juin, dans un sondage en ligne sur le site du Figaro, il apparaissait qu’un gros tiers des Français (37,2%) pensaient que l’euro n’existerait plus dans dix ans.
«Les consommateurs ont pris l’euro en grippe, juge l’économiste Philippe Moati. Cela tient aussi au fait que les gens n’ont pas le moral, qu’ils sont à la recherche d’une explication à leur malaise et que, dès lors, l’euro, qui est rattaché à des questions de mondialisation, devient un point de cristallisation de leur angoisse.»
Beaucoup accusent en effet l’euro d’avoir fait grimper les prix et sapé le pouvoird’achat. Selon les relevés effectués par le magazine Que Choisir du mois de janvier2012, une baguette de pain ordinaire, que l’on payait 4,39francs (67centimes d’euros) avant l’euro, vaut aujourd’hui 85centimes, soit une augmentation de 27%. Le petit café au comptoir, qui coûtait à l’époque 4,98francs (76centimes), revient désormais à 1,10euro, soit 45% de hausse.
Parmi les plus fortes progressions figurent aussi le kilo de pommes (65% plus cher), le poulet Label Rouge (+47%), ou encore l’huile de tournesol (+43%).
Ces poussées inflationnistes sur des produits du quotidien proviennent pour une bonne part de l’envolée des cours de certaines matières premières.
«Décalage»
Mais pour de nombreux biens, les prix en euros se sont souvent purement et simplement substitués aux prix en francs. «Même le mec qui fait la manche dans la rue et qui demandait 1 ou 2francs auparavant, demande aujourd’hui 2euros», relève Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers.
«Rétrospectivement, on voit très bien que la problématique du pouvoir d’achat émerge dans l’esprit des ménages au moment où l’euro entre en vigueur, alors qu’en fait leur pouvoir d’achat ne se met à se dégrader qu’après, relève M.Moati. On se rend compte qu’il y a un décalage, dû à une mauvaise appréciation des prix.»
partir de l’arrivée de l’euro dans les porte-monnaie, inflation mesurée et inflation perçue ont nettement divergé. «Depuis l’euro, les ménages ont eu tendance àsurestimer l’inflation, alors que l’indice des prix est resté sur sa trajectoire, poursuit M.Moati. En fait, la perception des ménages ne repose pas sur un inventaire exhaustif, comme celui de l’Insee. Ils appréhendent l’inflation à partir d’un petit nombre d’observations de prix qu’ils généralisent.»
Les données nationales sont en effet moins sévères. «Entre2001 et 2010, le prix de la dépense de consommation des ménages a augmenté en moyenne de 1,6% par an, soit à peine plus qu’entre  1991 et 2001, où il avait progressé de 1,3%», rappelle Ronan Mahieu, chef du département des comptes nationaux de l’Insee. Quant au «pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages», il a «augmenté de 1,7% par an entre2001 et 2010, contre 2% en moyenne par an sur les dix années antérieures», ajoute M.Mahieu.
Mais les données nationales sur l’évolution des prix intègrent l’automobile, l’électroménager, les téléviseurs, les télécommunications, des achats que les Français ne font pas tous les jours.

Les prix ont néanmoins progressé un peu plus vite que sur les dix ans qui ont précédé l’euro et les revenus un peu moins vite, entraînant une dégradation dupouvoir d’achat des ménages.


Mais c’est aussi parce que leurs charges fixes, et surtout le logement, n’ont cessé d’augmenter, grevant leur pouvoir d’achat, que les ménages se sentent moins riches aujourd’hui.

«En 2010, les dépenses pré-engagées (assurance, logement) représentaient 27,8% de leur revenu disponible brut, alors qu’en 2001 c’était 26,6% et 26,4% en 1994», précise M.Mahieu.

«Référentiels erronés»
La perception par les Français d’un choc inflationniste, qui serait dû à l’euro, tient aussi au fait que bon nombre d’entre eux convertissent encore en francs. «Lorsque les gens se mettent à douter d’un prix, ils convertissent, et comme on s’est habitué à des valeurs nominales plus petites, cela nous paraît exorbitant, explique M.Moati. De plus, on a gardé des référentiels de prix en francs, qui sont aujourd’hui erronés, car les prix auraient quand même continué à monter, même si on avait gardé le franc.»
Par ailleurs, certains produits ne sont plus comparables à la période d’avant l’euro. Par exemple, «la baguette de pain, aujourd’hui, intègre la plupart du temps dans son prix de vente celui de la franchise ou du contrat passé avec le fournisseur, et elle n’a plus rien à voir avec la simple baguette du boulanger que l’on pouvait acheter avant l’euro», constate Reine-Claude Mader, présidente de l’association Consommation, logement, cadre de vie.
De la même manière, les forfaits de télécommunications sont plus chers qu’il y a dix ans, mais ils incluent des prestations beaucoup plus importantes, avec des accès à Internet.
Cécile Prudhomme

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